La colère et la tristesse éprouvées par de nombreux Canadiens lorsqu’ils songent au fatidique raid de Dieppe du 19 août 1942, le pire désastre militaire du Canada de la Seconde Guerre mondiale, n’a pas diminué soixante-dix ans plus tard. Les historiens, les anciens combattants encore en vie et ceux qui ont un intérêt pour l’histoire militaire canadienne restent divisés sur les réponses aux questions même les plus fondamentales sur le raid: Quelle était la raison de l’attaque? Quel avantage espérait-on obtenir? Pourquoi Dieppe? Pourquoi les Canadiens? Qui était responsable? Quelles informations les Allemands possédaient-ils sur le raid avant qu’il ne se produise? En temps de guerre, une bataille se déroule rarement ou jamais comme prévu et les planificateurs et les commandants du raid de Dieppe ont fait face à un nombre extraordinaire de défis pour une petite opération d’une journée. Mercredi soir, les professeurs Terry Copp et Mike Bechthold du LCMSDS ont réexaminé de façon interactive les décisions prises dans la planification et la conduite du raid de Dieppe. Cet exercice a donné aux participants une connaissance plus approfondie du raid en plus de les sensibiliser aux nombreuses nuances de la planification et de la conduite d’une opération militaire complexe. Cet exercice réussira-t-il à apaiser leur colère ou leur angoisse face à l’échec et la futilité apparente du raid et de ses lourdes pertes en vies canadiennes?

Cette fin de semaine, un certain nombre d’événements commémoratifs au Canada, au Royaume-Uni et en France vont marquer les sacrifices de ceux qui ont combattu, sont morts et ont survécu sur les plages de Dieppe. Samedi soir, le Royal Hamilton Light Infantry (RHLI) tiendra un banquet pour Dieppe à Hamilton, en Ontario, suivi de son défilé annuel en mémoire de Dieppe le dimanche matin. Une délégation du régiment, comprenant le commandant actuel, le Lieutenant-colonel Dan Stepaniuk, fera partie dimanche de la délégation officielle canadienne dirigée par le gouverneur général, Son Excellence, le très honorable David Johnston, et le ministre des Anciens Combattants et député, l’honorable Steven Blaney, marquant le 70e anniversaire du raid de Dieppe, en France. Les événements commémoratifs en l’honneur du Essex Scottish, des Calgary Tanks et des Fusiliers Mont-Royal vont également avoir lieu en fin de semaine à Windsor, Calgary et Montréal respectivement.

Au Royaume-Uni, le principal événement commémoratif aura lieu au War Memorial Green dans la cité de Southway près de Newhaven. Le Lord-lieutenant, le shérif en chef et l’adjoint au maire de Dieppe avec de hauts dignitaires du Haut Commissariat du Canada et de l’ambassade américaine à Londres seront présents ainsi que des représentants de la Royal British Legion et de l’Association canadienne des anciens combattants du Royaume-Uni. Des couronnes seront déposées au Monument commémoratif du Canada et la cérémonie se terminera par un spectacle aérien de l’escadrille commémorative de la bataille d’Angleterre (Battle of Britain Memorial Flight). De petites cérémonies auront également lieu au Monument commémoratif du Canada au Green Park, à Londres, ainsi qu’à l’Arboretum National Memorial, le centre du souvenir du Royaume-Uni, où un monument commémoratif du raid de Dieppe sera dévoilé dans le bosquet des Forces spéciales alliées (Allied Special Forces Grove).

La cérémonie commémorative principale se tiendra naturellement à Dieppe même. En plus du Gouverneur général du Canada et du maire de Dieppe, les anciens combattants du raid, les associations d’anciens combattants, les membres actuels des régiments participants et les dignitaires nationaux de tous les pays participants seront représentés. Provenant de Hamilton en Ontario, l’ancien combattant Fred Engelbrecht, âgé maintenant de 92 ans, prendra part aux activités commémoratives officielles. Engelbrecht était l’un des 582 soldats du RHLI qui a débarqué à Dieppe ce fatidique matin d’août 1942. Sa guerre, avec 173 de ses camarades, a pris fin le jour où il est devenu un prisonnier de guerre. Parmi ses autres collègues du régiment, 211 sont retournés au Royaume-Uni, la plupart d’entre eux blessés, et 197 ont été tués pendant la bataille. Avant de quitter le Canada pour Dieppe, Engelbrecht a été interviewé par Kate Adach des nouvelles du réseau anglais de Radio-Canada. Il a dit à Adach qu’il ne pourrait jamais oublier Dieppe et que, malgré son âge avancé, il se «  souvient de tout comme si c’était hier. Je pourrais vous guider à travers tout ce qui s’est passé sur la plage ». Résumant son expérience marquante à Dieppe d’il y a soixante-dix ans, il a déclaré que « le raid a été un massacre, un massacre complet. Un massacre stupide de milliers d’hommes ».

À partir de la semaine prochaine, après la conclusion de tous les événements et les services commémoratifs, ce blog, divisé en plusieurs parties, se penchera sur les principales controverses qui existent encore sur le raid. La riche historiographie du raid sur Dieppe est dominée par deux débats centraux. La première partie se concentre sur la question à savoir qui a autorisé le raid et, par conséquent, qui était responsable de sa mise en œuvre (et de ses conséquences désastreuses). La deuxième question tourne autour des informations détenues sur le raid par les Allemands avant son déclenchement. Les principaux protagonistes du premier débat sont Brian Loring Villa et Peter Henshaw. Villa soutient que Mountbatten a monté le raid sans l’autorisation officielle des chefs d’états-majors, un point contesté par Henshaw. Dans le second débat, les principaux protagonistes sont le controversé historien David Irving, qui affirme que les Allemands avaient reçu un avis détaillé du renseignement sur une attaque maritime de Dieppe des semaines avant le raid, et Stephen Roskill, l’un des historiens britanniques officiels de la Seconde Guerre mondiale, qui a accusé Irving de fausser la preuve pour prouver quelque chose qui n’était pas vrai. Roskill est persuadé que les Allemands n’avaient aucune connaissance préalable sur le raid. Les deux débats sont loin d’être terminés et il est fort probable que les nouvelles recherches, loin de résoudre ces controverses, vont plutôt les intensifier.

Commençant d’abord par le premier débat sur ​​l’autorisation et la responsabilité pour le raid, on pouvait regarder le documentaire Dieppe Uncovered sur la chaîne History Television, le 19 août 2012. Ce documentaire (rediffusé sur History Television le lundi 20 août 2012) par l’historien militaire David O’Keefe affirme que le raid était une couverture pour une mission top secrète. Les recherches approfondies d’O’Keefe suggèrent que la vraie raison de l’attaque était d’obtenir, à travers un « mouvement de tenailles » visant le siège naval allemand à Dieppe, la nouvelle machine Enigma à quatre rotors des Allemands introduite en février 1942, les fiches de réglage pour le codage de la machine et les livres de code de la marine allemande. Présenté comme un documentaire à la télévision plutôt qu’un article scientifique, le travail de O’Keefe a été présenté en primeur à Dieppe le samedi 18 août 2012 dans un théâtre à seulement 75 mètres de l’Hôtel Moderne, emplacement du siège naval allemand à l’époque. Étant donné le secret qui entourait Ultra tout au long de la guerre, ces nouvelles informations peuvent contester le récit existant sur ​​qui a autorisé le raid de Dieppe et pourquoi il a été repris selon ce plan.

De nouvelles informations concernant les renseignements détenus par les Allemands avant le raid ont également fait surface dernièrement. La collection d’histoire orale du Musée impérial de la guerre (Imperial War Museum) à Londres contient des témoignages de soldats allemands postés en Normandie, au printemps et à l’été de 1942, qui prétendent que tout le monde savait que les Anglais allaient attaquer à Dieppe. Les rapports de la SS Protektorat Böhmen und Mähren, en s’appuyant sur l’interrogatoire de citoyens tchèques raflés après l’assassinat de Reinhard Heydrich, les auraient également prévenus d’une invasion imminente près de Dieppe en août 1942.

L’histoire est toujours pleine de surprises et j’espère que vous allez suivre ce blog et y contribuer avec vos propres réflexions en fonction de votre connaissance du raid sur Dieppe et vos commentaires sur les arguments et les documents que je vais vous présenter au cours des prochaines semaines.

Le Dr David Ian Hall est un chargé d’enseignement au Département des Études sur la défense au King’s College de Londres basé au Joint Services Command and Staff College à Shrivenham, au Royaume-Uni, et chercheur associé du LCMSDS. Visionner une vidéo de sa conférence au LCMSDS sur les Allemands à Dieppe en 2011 ici.

La photo de couverture du monument commémoratif des Fusiliers Mont-Royal à Plage rouge, à Dieppe, prise par Nicholas Lachance, 2010.

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