corps-commandersDouglas E. Delaney,  Corps Commanders : Five British and Canadian Generals at War, 1939-45 (Vancouver: University of British Columbia Press, 2011). 387 pages.

Recension de William Pratt (University of Calgary)

La dernière décennie de l’histoire militaire canadienne a vu la publication de quelques excellentes biographies universitaires qui ont bâti sur la fondation établie par les mémoires classiques des généraux ELM Burns et Chris Vokes et de l’éminente enquête universitaire de Jack Granatstein sur le sujet, The Generals: The Canadian Army’s Senior Commanders in the Second World War (Toronto: Stoddart, 1993). De récentes monographiques ont scruté le leadership de : Bert Hoffmeister, « Harry » Crerar, Guy Simonds et de Andrew McNaughton. Ces travaux ont, en général, reconsidéré la position critique de John English présentée dans The Canadian Army and the Normandy Campaign: A Study of Failure in High Command (New York: Praeger, 1991) en plus de fournir une analyse plus nuancée sur les commandants. English leur reprochait en outre de fonctionner dans un environnement trop bureaucratique et technique tout en les accusant d’avoir lamentablement échoué quant à l’aspect opérationnel de la guerre.

Lieutenant-général Guy Granville Simonds

Le lieutenant-général Guy Granville Simonds

L’étude de Douglas Delaney, Corps Commanders, avec son regard méticuleux sur le leadership anglo-canadien de la Seconde Guerre mondiale au niveau du corps s’avère un ajout bienvenu dans une industrie biographique en pleine croissance. À l’aide d’une approche comparative des expériences professionnelles des cinq généraux, le travail vise à montrer comment ils ont appris à organiser, à former et à diriger des formations du Commonwealth britannique. Quant à leur style de commandement et de leadership, ces hommes étaient loin d’être taillés dans la même étoffe kaki. Les titres de chapitre de Delaney évoquent son évaluation des différents caractères qu’il examine : « The Actor: Lieutenant-General Sir Brian Horrocks »; « Wit in Want of Will: Lieutenant-General E.L.M. Burns »; « The Quiet Gentleman: General Sir John Crocker »; « Wit With Will to Spare: Lieutenant-General Guy Granville Simonds » et « The Master Bureaucrat: General Charles Foulkes ». Malgré toutes les différences de personnalité, plusieurs traits communs à ces généraux leur permirent d’exercer le commandement au niveau du corps. Au centre de l’analyse de Delaney, on y retrouve un langage commun à tous ces généraux appris aux Collèges d’état-major de l’Armée en Grande-Bretagne ou en Inde où on y enseigne « the method and the structures that could be reasonably applied in any military situation » (p. 5). Avec des outils d’analyse communs, les généraux possèdent un moyen pour reconnaître les problèmes militaires exigeants en plus de pouvoir communiquer leurs solutions rapidement et clairement. Un autre thème tout aussi important dans le travail de Delaney est la nécessité pour les dirigeants militaires d’avoir de la volonté, voire même un caractère impitoyable, pour imposer leurs solutions en temps de crise, même si des carrières et des vies étaient en jeu. Delaney a fait un travail de  recherche de moine, exploitant pas moins de onze centres d’archives majeurs de trois différents pays en plus d’un certain nombre de collections privées. Cette nouvelle étude de la collection de la University of British Columbia Press et du Musée canadien de la guerre constitue un excellent exemple d’un travail universitaire solide et innovant dans le domaine de l’histoire militaire.

Delaney dépeint le lieutenant-général archétype comme un leader charismatique avec des compétences militaires solides apprises au collège d’état-major. Il possède la volonté de pousser ses soldats lorsque les objectifs le demandent et un caractère impitoyable pour renvoyer ses subordonnés quand ils échouent. Certains de ses sujets résistent à l’analyse. D’autres en ressortent salis. Le lieutenant-général Sir Brian Horrocks se rapproche le plus des qualités incarnées par cet idéal. Horrocks étaient, selon Delaney, « an absolute master of the human dimension of command [with] solid technical skills », des qualités introduites par le collège d’état-major et améliorer par l’expérience (p. 58). Comme tous les généraux examinés, il a fait des erreurs, mais il a aussi eu le discernement de permettre à ses subordonnés d’assumer des tâches lorsque l’occasion l’exigeait.

Lieutenant-général E.L.M. Burns avec Générall Harry Crerar

Le Lieutenant-général E.L.M. Burns avec le Général Harry Crerar

Le lieutenant-général E.L.M. Burns, en dépit d’avoir plus que sa part d’intelligence, « possessed neither the charisma to inspire nor the ruthlessness to instill fear » (p. 79). L’intelligence de Burns et sa compétence technique ne constituaient pas une base assez solide pour lui permettre de conserver son travail et son manque de charisme ressort dans une fâcheuse comparaison. En utilisant l’exemple de la mauvaise position adoptée pour les mitrailleuses d’une unité au début de 1944 et l’échec de Burns de tenir les troupes responsables pour cette situation, Delaney note que « he sounded rather like an old lady unhappy with how a picture had been hung than a general smart enough to know the right thing to do and strong-willed enough to do it » (p. 80). Le manque de poigne de Burns et son incapacité à prendre un ferme contrôle sur ses subordonnés se sont développés sur le terrain pendant la campagne d’Italie, tant dans son incapacité à empêcher le major-général Chris Vokes de tenter à la hâte de percer la ligne Hitler que dans son acceptation silencieuse des frontières de démarcation ridicules pour la poursuite dans la vallée du Liri. S’il ne possède pas la capacité d’inspirer les subordonnés et de démontrer de la confiance, un général a besoin d’audace pour obliger les soldats comme les autres généraux à obéir à sa volonté. Burns manquait d’audace et même, comme le suggère Delaney, de volonté.

Lieutenant- John Crocker

Le Lieutenant-général John Crocker

Le général Sir John Crocker est dépeint comme déterminé, compétent et résolument honnête. Après l’opération WINDSOR, Crocker estimait que le commandant de la 3e Division d’infanterie canadienne, le major-général Rod Keller, ne pouvait résister « to the strain and showed signs of fatigue and nervousness (one might almost say fright) ». Plutôt que d’attendre que le commandement du 2e Corps canadien s’occupe du problème, Crocker exprima son opinion honnête de son subordonné, réaction typique d’un homme qui suit toujours sa conscience (p. 146-47). Au contraire, le lieutenant-général Guy Granville Simonds compensa un manque de charisme avec ses solides compétences techniques et la volonté de renvoyer ses subordonnés en plus d’accepter de lourdes pertes. La fierté (à la fois nationale et personnelle) s’avérait le péché de Simonds. Delaney suggère que l’attaque sanglante sur la crête de Verrières pendant l’opération ATLANTIC a été exécutée en raison d’un désir de prouver que la petite armée canadienne pouvait réaliser des gains importants.

Le général Charles Foulkes, dont la carrière pendant la Seconde Guerre mondiale est analysée en profondeur pour la première fois dans l’œuvre de Delaney, est dépeint comme un « maître bureaucrate » impopulaire alors qu’il servait de coordonateur de la formation avant de gravir les échelons en raison de sa capacité à « sniff out power and influence » (p. 256). Delaney note avec dérision que « an officer such as Foulkes could have risen from major to lieutenant-general in five years only in an army starved for command talent and experience » (p. 260). Ces mots accablants doivent être nuancés lorsque l’on note l’amélioration de Foulkes entre sa promotion au commandement de la 2e Division d’infanterie canadienne à celui du 1er Corps canadien. Toutefois, même son meilleur bilan en Italie et en Europe du Nord-Ouest n’est pas le résultat de ses propres talents, mais plutôt celui de la présence de meilleurs subordonnés et d’un bon timing.

Au-delà de l’évaluation des qualités de leadership incarné par ces cinq personnes, Delaney propose un examen minutieux de la façon dont les quartiers généraux de corps étaient organisés et exploités. Beaucoup de clémence a été accordée à la façon dont les batailles auraient pu être planifiées et dirigées. Par exemple, Horrocks visitait ses divisions à l’aide d’un petit groupe de reconnaissance du commandant de trois véhicules alors que la plupart des généraux dirigeaient la bataille à partir d’un quartier général tactique plus grand avec des représentants des officiers d’état-major de chaque armes et services. Simonds planifiait des opérations entières dans sa caravane plutôt que d’utiliser des méthodes de collaboration plus classiques. L’analyse des opérations de Delaney à partir du point de vue du quartier général de corps comprend de nouvelles informations sur un terrain familier (Normandie, l’Escaut, la Ligne Hitler et la Ligne gothique) ainsi que des batailles sur la périphérie de l’histoire militaire canadienne (Alam Halfa et les rivières Montone et Senio). Un certain nombre de cartes adaptées des histoires officielles aident le lecteur lorsque le récit de combat devient lourd.

Le Général Sir Bernard L. Montgomery debout dans la nef d’une église en ruine, le 13 décembre 1943.

Le Général Sir Bernard L. Montgomery debout dans
la nef d’une église en ruine, le 13 décembre 1943.

Souriant silencieusement dans l’ombre, on y rencontre la figure omniprésente de l’histoire du Commonwealth de la Seconde Guerre mondiale, le Field Marshal Bernard Law Montgomery. On y apprend que le quartier général de Horrocks fonctionnait sur des messages verbaux rapides (combinées avec des procédures standardisées) empruntés à la 8e Armée de Monty. Simonds, un de ses protégés, a même mimé la façon de faire du Field Marshal. Delaney reconnaît, à la suite de l’historien David French, que Montgomery a réussi à la fin de l’année 1942 à « ram ‘a single interpretation of doctrine’ down the throats” of Commonwealth commanders » (p. 298). On se demande si Montgomery ne constituerait pas en effet le général archétype parfait auquel nos cinq sujets sont comparés.

Delaney conclut que les cinq généraux britanniques et canadiens [CD1] étudiés souffraient de « lack of face time with soldiers and too much time on staff » (p. 70). Horrocks et Crocker ont acquis des compétences interpersonnelles réelles en gravissant les échelons d’une grande armée en plus de servir à l’étranger. Leurs homologues canadiens ont eu peu de contact face à face avec les troupes. Il partage l’évaluation antérieure de Granatstein, selon laquelle la Force permanente canadienne « was a babysitting service for the militia » (p. 304). Alors que Horrocks et Crocker étaient en service actif de l’Irlande à l’Inde en tant que commandants de compagnie ou sur le terrain avec des unités territoriales, les Canadiens faisaient partie du personnel ​d’état-major ou aménageaient des programmes d’entraînement. De cette manière, le travail de Delaney ne constitue certainement pas une hagiographie, mais résonne de manière bien différente à celle de English dans sa critique nuancée. Là où English constatait un manque de compétences opérationnelles, il s’agissait pour Delaney d’une absence d’une soi-disant « compétences relationnelles ». L’étude de Delaney s’avère une excellente source de connaissances qui inspecte à la fois le terrain traditionnel avec de nouvelles sources et de nouveaux champs. Cette contribution à notre savoir de la biographie militaire canadienne, un milieu en pleine expansion, est fortement recommandée.