Mark Zuehlke, Tragedy at Dieppe: Operation Jubilee, August 19, 1942 (Vancouver: Douglas & McIntyre, 2012), 436 pages.
Recension par Mike Bechthold (LCMSDS)
En tant que Canadiens, nous avons une fascination maladive pour nos échecs. Nous préférons nous vanter de nos revers plutôt que de célébrer nos réussites. C’est peut-être préférable à une approche chauviniste de notre histoire, mais parfois, cela mène à une représentation déformée du passé. Dans le domaine de l’histoire militaire canadienne, aucun désastre n’occupe les préoccupations comme le raid de Dieppe peut le faire et cette opération nous fascine depuis que les derniers navires ont quitté le littoral français, il y a de cela soixante-et-onze ans. C.P Stacey, l’historien officiel de l’Armée canadienne, en est le premier chroniqueur. Ce dernier a écrit dix-sept rapports durant et après la guerre dans le but de comprendre les raisons de l’échec du raid. Depuis ce temps, plusieurs articles de journaux et de revues sont parus, des participants ont reconnu leurs rôles, des historiens ont essayé de comprendre et de justifier la mission et de nombreux documentaires ont raconté à plusieurs reprises cette histoire maintenant bien connue.
Le livre le plus récent qui traite du raid est Tragedy at Dieppe par Mark Zuehlke. Ce livre offre un récit bien écrit sur la planification et l’exécution du raid. Il s’agit de son dixième livre dans sa série sur les batailles canadiennes qui fait le bilan des campagnes majeures de l’Armée canadienne de la Deuxième Guerre mondiale – la Sicile et l’Italie ainsi que la Normandie et l’Europe du Nord-Ouest. Les ouvrages de Zuehlke fournissent une description détaillée de l’expérience des soldats durant la guerre et du rôle joué par l’Armée canadienne et ce livre sur la bataille de Dieppe poursuit ce même objectif. Cet ouvrage s’avère un outil idéal pour les lecteurs peu familiers avec le raid de Dieppe. Ce livre fournit une vue d’ensemble de la genèse et de la planification du raid. De plus, l’instruction intensive des soldats canadiens en prévision du raid est étudiée et Zuehlke décrit le carnage et l’héroïsme démontrés sur les cinq plages où les soldats canadiens et britanniques se sont battus lors de la journée du 19 août 1942. Zuehlke se surpasse lorsqu’il se concentre sur les aspects personnels du raid. Des hommes tels que le commandant canadien, le Major-général « Ham » Roberts, et son chef d’état-major, le Lieutenant-colonel « Church » Mann, deviennent plus que de simples noms dans un livre. Roberts était un homme « de grande taille, [avec] de larges épaules [et] très musclé » et était « un soldat jusqu’à la moelle […] un homme consacré à sa profession » (p. 64). Même s’il était considéré comme « un très bon soldat », Zuehlke remarque que, en tant qu’officier d’artillerie, Roberts n’avait pas d’expérience en tant qu’officier d’infanterie. En conséquence, Roberts « manquait de connaissances essentielles » (p. 66). Mann, un officier « de grande taille et fluet » ne possédait pas non plus l’expérience nécessaire, mais est décrit comme étant « un officier à l’esprit vif et un chef d’état-major doué dans tous les domaines. [Il était] un artiste de la planification opérationnelle dont les séances d’informations étaient des modèles de clarté sur le plan de la planification » (p. 67).
Zuehlke utilise aussi une description détaillée pour le carnage sur les plages. Il montre comment « [l]e peloton du lieutenant William Wedd, âgé de vingt-sept ans, a été réduit à une dizaine d’hommes par le feu d’une casemate » et comment Wedd a lui-même « utilisé une torpille Bangalore pour faire un trou dans le grillage et a mené le peloton dans une charge vers le feu allemand », endroit où il a lui-même tué les Allemands de la casemate juste avant de mourir (p. 263). Des descriptions telles que celle-ci font de ce livre une lecture intéressante.
Cependant, si l’on cherche à apprendre quelque chose de nouveau par rapport à Dieppe, ce n’est pas le meilleur livre à consulter. Zuehlke raconte habilement l’histoire de Dieppe mais n’ajoute rien qui n’est pas déjà présent dans la riche historiographie de la participation canadienne au raid. Dans l’avant-propos, Zuehlke soulève plusieurs questions importantes par rapport à la campagne, mais le corps du texte est une simple narration. Ce n’est que dans le court épilogue qu’il retourne à une analyse du raid. Toute étude sérieuse du raid à Dieppe devrait débuter par les chapitres de Stacey dans le volume 1 de l’histoire officielle de l’Armée canadienne durant la Seconde Guerre mondiale, Six années de guerre (1957). Cette œuvre demeure une excellente introduction sur le sujet. Il faudrait aussi inclure la monographie de T. Murray Hunter, Canada at Dieppe (1982), qui offre une narration concise du raid. L’ouvrage de Terrence Robertson, Dieppe : The Shame and the Glory (1962) est aussi une version traditionnelle, mais trouve un juste milieu dans le traitement de la planification du raid et l’exécution de celui-ci.
Controverse et raid de Dieppe vont de pair. De nombreux livres traitent d’ailleurs de cet aspect sous diverses perspectives. Brian Loring Villa affirme que Lord Louis Mountbatten a autorisé le raid sans en référer au haut commandement (Churchill). Cependant, l’argument de Villa est difficile à prouver et est fondé sur l’absence d’un ordre direct ou d’un télégramme venant de Churchill pour autoriser le début de l’opération Jubilee. Son argument n’est pas très convaincant pour plusieurs historiens, cependant l’analyse rigoureuse de Villa par rapport à la planification du raid demeure sans égale. Brereton Greenhous a écrit un livre sur Dieppe qui présente une interprétation très critique du raid. Greenhous affirme que les plans pour Rutter et Jubilee avaient plusieurs défauts. Il affirme aussi que les troupes canadiennes inexpérimentées ne se sont pas bien battues et qu’aucune leçon n’a pu être tirée de cette opération. Il arrive à la conclusion que seule une incompétence flagrante de la part des Allemands aurait pu assurer le succès de l’opération à Dieppe.
Dieppe : Tragedy to Triumph (1992) de Denis et Shelagh Whitaker et The Greatest Air Battle (1992) de Norman Franks constituent deux autres ouvrages essentiels sur le raid. Denis Whitaker était un capitaine dans le régiment d’infanterie du Royal Hamilton Light Infantry en 1942. Il a débarqué sur la plage principale à Dieppe, s’est frayé un chemin jusqu’au casino et au sein de la ville en plus de réussir à revenir en Angleterre sans être blessé. Son livre, écrit en collaboration avec sa femme, présente cette expérience, mais offre aussi une évaluation équilibrée du raid qui tente de comprendre et d’en justifier le coût. En particulier, il fait l’effort de lier les échecs à Dieppe aux réussites du Jour J. Franks, un historien de l’aviation doué, présente un récit de la bataille aérienne au-dessus de Dieppe. Il s’agit d’un ouvrage unique puisque c’est la seule monographie qui se concentre sur la bataille aérienne à Dieppe.
On pourrait donc conclure après la lecture du livre de Zuehlke qu’il n’y a plus rien de nouveau à apprendre par rapport à la bataille de Dieppe; rien n’est plus faux. Le numéro de l’automne 2012 de la revue Canadian Military History présente une série d’interprétations récentes et innovatrices du raid de Dieppe. David Hall (King’s College London) s’est attardé sur la perspective allemande du raid. Il montre, entre autres, la manière dont les Allemands ont utilisé son dénouement dans leur propagande et comment l’étude du raid a influencé la perception du haut commandement allemand de leur propre succès dans la guerre. Ross Mahoney (candidat au doctorat, University of Birmingham) a remis en contexte la bataille aérienne de Dieppe en plus d’insister sur l’influence sur l’opération de la doctrine de soutien aérien pour les opérations amphibies existant à l’époque dans la Royal Air Force (RAF). Béatrice Richard (Collège militaire royal de Saint-Jean) a étudié la perception du raid au Québec et comment cette perception a renforcé le mythe que les soldats de cette province ont souffert un nombre disproportionné de morts. Ces articles n’ont pas beaucoup de points en commun, mais ils montrent comment l’étude de diverses questions militaires, politiques, stratégiques et sociales peut enrichir notre compréhension du Canada et de la Seconde Guerre mondiale.
Un autre domaine d’étude a été révélé à l’automne dernier dans le documentaire intitulé « Dieppe Uncovered ». La première du documentaire a été diffusée sur le canal History Television le jour même du soixante-dixième anniversaire du raid. L’historien David O’Keefe affirme que la raison derrière le raid était de fournir une couverture pour une mission de renseignement clandestine dans le but de récupérer des livres de code de l’Armée allemande pour la nouvelle machine de chiffrement et de déchiffrement de l’information Enigma. Le secret « Ultra » – le nom de code utilisé par les Alliés pour faire référence aux informations découvertes étudiant le trafic sur Enigma – a été soigneusement gardé en secret par les Alliés. Ce n’est qu’au début des années 1970 que les Alliés ont officiellement avoué la mission de surveillance du trafic sur Enigma. Ce n’est pas très surprenant que le rôle d’une unité qui avait pour tâche de s’emparer de renseignements allemands n’ait pas été inclus dans les livres d’histoire. O’Keefe est l’un des premiers historiens à fournir une explication du rôle d’une unité spéciale, la 30 Assault Unit, à Dieppe. Le documentaire étudie le rôle joué par Ian Fleming — l’auteur légendaire des romans James Bond – dans la coordination des actions de cette équipe. Tout comme l’opération en général, la 30 Assault Unit n’a pas réussi dans sa mission, mais la mise au jour de l’existence de cette mission par O’Keefe enrichit notre compréhension du raid et montre que de nouveaux secrets peuvent être encore révélés soixante-dix ans après les événements.
Il existe quelques petits problèmes avec l’ouvrage de Zuehlke qui peuvent diminuer le plaisir du lecteur. Les canons à obus de 25 livres utilisés par le 1er régiment d’artillerie de campagne, RAC, dirigé par Roberts, sont identifiés comme étant des canons à obus de « 24 livres » (p. 65). De plus, le vice maréchal de l’air, Trafford Leigh-Mallory, le commandant de la force aérienne pour cette mission, est identifié par « Vice Air-Marshal Trafford » (p. 185). Un autre problème avec le livre est la nature de l’index qui semble avoir été compilé en utilisant une recherche par mot clé plutôt que par un œil averti. Par exemple, si le lecteur cherche à lire à propos des actions du Royal Regiment of Canada sur la Plage bleue, il n’y aura pas d’entrée classée sous le nom du régiment. Il faut donc aller sous l’entrée « Plage bleue » pour trouver l’information. Cette erreur est répétée à plusieurs reprises pour d’autres sujets.
Du nouveau matériel continue d’être publié. Le prochain numéro de la revue Canadian Military History présentera un article de Caroline D’Amours, candidate au doctorat à l’Université d’Ottawa, sur la préparation et l’instruction des Fusiliers Mont-Royal pour l’opération à Dieppe. Sans faire trop d’effort, je pourrai fournir une liste d’une douzaine de sujets liés à l’opération qui demandent une étude plus approfondie. Le livre de Zuehlke est un ajout digne de mention pour notre compréhension de Dieppe et représente une introduction idéale à ce sujet. Cependant, il y a encore beaucoup à apprendre à propos d’une des plus grandes tragédies canadiennes.
Lectures supplémentaires :
Alex Ballingall, “The Real Story of Canada’s Worst Military Disaster,” Maclean’s Magazine, 20 August 2012, pp.16-20.
John P. Campbell, Dieppe Revisited : A Documentary Investigation. London : Frank Cass, 1993.
Norman Franks, The Greatest Air Battle: Dieppe, 19th August 1942. London : Grub Street, 1992.
Brereton Greenhous, Dieppe, Dieppe. Montreal : Art Global, 1992.
T. Murray Hunter, Canada at Dieppe. Ottawa : Balmuir, 1982.
Terence Robertson, Dieppe: The Shame and the Glory. Boston : Little, Brown and Co., 1962.
Brian Loring Villa, Unauthorized Action: Mountbatten and the Dieppe Raid 1942. Oxford : Oxford University Press, 1989.
Denis and Shelagh Whitaker, Dieppe: Tragedy to Triumph. Toronto : McGraw-Hill Ryerson, 1992.